RT03 La Conscience
Quand
me parviennent ces souvenirs, effluves ardentes d'avril
et d'aurore, quand je sens, à vrai dire, cette fraîche
rosée de gouttes de ciel, je souffre pour tous ces
millions d'êtres humains qui dorment et pleurent.
J'ai
éveillé la conscience, je suis parvenu à
l'illumination. Où allais-je, endormi, par le rude
rocher découpé à ras ? Je regardai
attentivement le firmament et il était très
haut ; la cime terrible avec son vertige m'attira ; je tournai
le visage vers la profondeur traversée, je vis la
terre et elle était très en bas.
L'oiseau
Phénix au vol rapide me toucha de ses ailes à
la blancheur immaculée et alors, rempli de ferveur,
je priai en sachant que le parfum de la prière arrive
jusqu'à Dieu.
J'implorai
pour les endormis, pour ces sincères qui se trompent,
qui rêvent qu'ils sont éveillés, pour
ceux qui ont échoué et supposent aller très
bien.
Le
Sage rêve de la splendide rose du pré magique
qui entrouvre ses délicieux pétales à
l'étoile vespérale de l'amour.
Le
barde chevelu rêve du timide ruisseau chantant qui
descend de la montagne, égoutté, fondu en
argent, le tout transformé en un filigrane qui court
et qui passe.
L'infortunée
mère rêve au fils qu'elle a perdu à
la guerre et ne conçoit aucun sort plus dur ; elle
pleure au pied de son portrait le bonheur brisé,
et le rayon joue avec la torture et allume même un
arc-en-ciel dans chaque goutte.
Faust
rêve à sa Marguerite au blanc visage tranquille
sous le dais exquis de sa blonde chevelure qui, telle une
cascade d'or, retombe sur ses épaules d'albâtre.
Quel abîme si profond dans sa pupille, perfide et
bleutée comme l'onde !
Entre
les griffes effrayantes de la douleur, le pauvre animal
intellectuel rêve qu'il est Brutus, déchiquetant
le coeur de César en mille morceaux ; Spartacus le
terrible, dévastant la campagne ; Ulysse dans son
palais d'Ithaque, tuant dans sa fureur les prétendants
de son épouse ; Tell rejetant l'embarcation de son
pied ; Cléopâtre séduisant Marc-Antoine
; Cromwell devant le supplice d'un monarque ; Mirabeau dans
le Tabor des nations ; Bolivar et cinq peuples libérés
; Morelos sur les champs de bataille.
L'amoureux
rêve à l'étoile d'Orient qui s'élève
resplendissante, au rendez-vous tant espéré,
au livre qu'elle tient dans ses mains, à sa fenêtre
romantique.
L'époux
offensé rêve à l'obscure altercation
et à l'âpre rébellion, il souffre l'indicible
et en meurt même dans le cauchemar.
Le
luxurieux rêve de l'impudique nudité de la
diablesse qui se love tel un porc dans la fange de l'immondice.
L'enivré
rêve qu'il est riche, jeune, vaillant chevalier de
grand renom, courageux dans la bataille.
Amado
Nuevo rêve à l'aimée immobile et Victor
Hugo aux "Misérables".
Cette
vie de type lunaire n'est qu'un tissu de rêves.
Ils
ne se trompèrent pas, les antiques sages de la terre
sacrée des Vedas, en disant que ce monde est Maya
(illusion).
Ah
! si ces pauvres gens cessaient de rêver ! Comme la
vie serait différente !
Les
4 Evangiles insistent sur la nécessité de
réveiller la conscience, mais comme ils sont écrits
en clés, personne ne les comprend.
En
ces instants me viennent à la mémoire d'ineffables
souvenirs.
Une
de ces nuits d'automne, je parlais délicieusement
avec un Adepte dans les mondes supérieurs.
Converser
avec un frère majeur des dimensions supérieures
dans les univers parallèles est, certes, quelque
chose d'impossible pour les endormis, pour ces pauvres gens
qui rêvent.
Heureusement,
je suis éveillé.
Le
sujet de la conversation fut varié. Le dialogue se
déroula en synthèse. Litelantes écoutait
et se taisait. Il est évident qu'elle aussi est éveillée
et prend plaisir à m'accompagner ; c'est mon Epouse-Prêtresse.
Et
cette conversation s'écoulait délicieusement,
tel un fleuve d'or sous l'épaisse forêt du
soleil. Le vénérable voulait une entrevue
avec moi, ici, en bas dans la région tridimensionnelle.
Il
fut nécessaire de définir les facteurs temps
et lieux. Litelantes protesta : minuit ? si loin de notre
maison, tout simplement au centre de la ville de Mexico.
Ses
protestations furent inutiles. Lui et moi nous fixâmes
le rendez-vous et donnâmes notre parole.
Les
mois d'automne passèrent. J'attendais avec un intérêt
suprême, le vieil an neuf 1968.
Cependant,
tout passe ; il ne me fallut pas trop attendre et la nuit
désirée arriva.
Je
sortis de la maison tôt ; il fallait qu'il en soit
ainsi, car cette nuit devait comporter beaucoup de visites
et je devais m'avancer.
Un
taxi me conduit sur la chaussée de Tlalpan jusqu'au
Zocalo. Je dus descendre exactement à "20 de
Novembre", à un coin de la "Plaza de la
Constitucion".
Je
devais payer la course. "Combien vous dois-je ?"
"2 pesos, monsieur". "Voilà, payez-vous".
Le chauffeur reçut l'argent sans se douter de rien
- ni même de très loin - ni à propos
de moi, ni à propos de mon voyage. Que peut savoir
un endormi ? Le pauvre chauffeur connaissait-il mes études,
par hasard ? Que pouvais-je exiger de lui ? Un rêveur
de plus conduisant un taxi, voilà tout !
Et
j'allai par le centre même du Zocalo et m'arrêtai
devant le grand pylône de fer, lequel était
la hampe de notre drapeau national, endroit exact du mystérieux
rendez-vous.
Il
est évident que je devais tout d'abord reconnaître
le lieu, et ainsi en fut-il, mais il n'était même
pas encore 10 heures du soir.
Je
marchai dans l'avenue "5 de Mayo", lentement,
très lentement, et j'arrivai au parc de l'Alameda.
Le
gel de l'hiver qui souffle dans les montagnes où
jamais ne se bercent ni nuances, ni arômes, tombait
en frais torrents d'argent, recouvrant les pelouses flétries.
Je
m'assis sur un banc du parc ; le froid de cette nuit d'hiver
était terrible. De-ci, de-là, des enfants
bien emmitouflés jouaient, joyeux ; les vieillards
conversaient, austères, de choses peut-être
très sérieuses et très graves, ou pour
le moins, tout à fait sans importance. Les amoureux
souriaient avec de lucifériens regards de feu. Les
lumières aux couleurs variées resplendissaient
et comme il se doit, quelques déguisements ne manquaient
pas dans cet ensemble bigarré et pittoresque de Nouvel
An ; des gens qui prenaient plaisir à se faire photographier
entre les 4 rois mages.
Fumée
qui jaillissait de la montagne, obscure nostalgie, étrange
passion, soif insatiable, immortel ennui, tendre aspiration,
subconscient indéfini, soif infinie de l'impossible.
Voilà ce que l'humanité ressent en de tels
moments.
Je
me promenai à plusieurs reprises près des
fontaines cristallines, contemplant de belles choses, à
côté des sapins ; des ballons de couleurs,
variées représentations symboliques de l'an
vieux et du Nouvel An, chariots tirés par les cabris
du Capricorne, etc.
Plus
d'une fois, tournant lentement dans l'avenue "5 de
Mayo", je m'approchais de la hampe de notre drapeau
national, au centre vivant de la "Plaza de la Constitucion".
Je
regardai anxieusement aux alentours ; l'endroit glorieux
était relativement solitaire et, pour comble cette
nuit, le drapeau de la patrie ne resplendissait pas avec
son aigle de l'esprit, son serpent sacré et son figuier
de Barbarie de la volonté.
Obscurs
Alexandre et Spartacus ! Que vous êtes loin de comprendre
tout ceci ! Vous fûtes dans les sanglants travaux
de guerre semeuse de lauriers et de malheurs, des idoles
d'argile qui tombèrent en morceaux sur terre.
En
une sublime absorption, je scrutai mon esprit, méditant
sur le mystère de la vie et de la mort.
Il
ne manquait plus qu'une demi-heure pour ce rendez-vous du
Mystère. Je me promenai, silencieux, bien des fois
par là, entre le Zocalo et le parc de l'Alameda.
Bientôt, regardant ma montre, je soupirai profondément
en disant d'une voix qui m'étonna moi-même
: "Enfin ! l'heure est proche".
Il
était nécessaire de presser un peu le pas
pour retourner de nouveau à l'endroit du rendez-vous
attendu.
Les
cloches de la vieille cathédrale métropolitaine
résonnèrent, quand anxieux, je m'arrêtai
devant la hampe du drapeau national ; il ne me manquait
que 15 minutes avant minuit ; je regardai aux alentours,
comme si j'enquêtais, comme si je cherchais quelque
signal qui m'indiquerait la présence du Maître.
D'innombrables
questions m'assaillaient : ce Gourou ne serait-il pas capable
de concrétiser le rendez- vous ? L'Adepte n'avait
peut-être pas passé le souvenir de ce rendez-vous
à son cerveau physique ?
Finalement,
ah, Dieu ! les 12 coups de cloche du Nouvel An résonnent
dans les tours du temple. Je commençais à
me sentir comme déçu lorsque quelque chose
d'insolite se passe : je vois 3 personnes en face de moi.
C'est une famille étrangère, peut-être
nord-américaine, anglaise ? Je ne sais pas. Le monsieur
avance seul jusqu'à moi ; je l'observe attentivement
; je connais ces traits, ce visage majestueux ; c'est le
Maître. Il me félicite, m'embrasse, me souhaite
un total succès pour l'année 1968 et ensuite
se retire.
Je
note cependant quelque chose d'étrange en lui : il
est venu comme un somnambule, inconscient, comme mû
par une force supérieure à lui ; ceci m'alarma
et m'attrista un peu.
Est-il
possible que la conscience du Maître soit éveillée
dans les mondes supérieurs et endormie dans le monde
physique ? Ceci est certes, étrange, énigmatique
et profond.
Après
la rencontre avec le Maître, je ne me sentis plus
frustré et j'avais de la joie au coeur.
J'avançai
heureux jusqu'à l'atrium de la cathédrale
en question ; j'attendais et bientôt mon fils Osiris
arriva dans sa petite voiture couleur feu ; il s'arrêta
un instant pour me prendre et m'emmener à la maison.
"Le
Maître a-t-il accompli son rendez-vous ?" fut
sa première question et il est clair, puisque la
réponse fut affirmative, qu'il en fut très
content, puis il garda le silence.
Il
est utile de dire qu'après cet évènement,
j'eus avec le Maître une nouvelle entrevue dans les
mondes supérieurs. Je le remerciai d'être venu
au rendez-vous et le félicitai ; le Gourou, très
joyeux, se sentit satisfait d'avoir pu conduire sa personne
humaine jusqu'à l'endroit prévu.
Il
est évident que le Maître en soi est ce que
les hindous appellent Atman, l'Esprit Divin, fusionné
avec l'Ame Spirituelle (Bouddhi).
L'Ame
Humaine revêtue de sa personnalité terrestre
est ce que dans l'Orient mystérieux, on dénomme
sagement : Bodhisattva.
Il
est facile de comprendre que cet homme qui vint à
moi était le Bodhisattva du Maître.
Et
il venait endormi ! Quelle douleur ! C'était un Bodhisattva
tombé. Pourtant, le Maître était parvenu
à le contrôler et à le conduire comme
un automate, comme une marionnette, jusqu'au lieu du rendez-vous.
Il
n'est en aucune manière étrange qu'un Bodhisattva
(âme humaine du Maître), après être
tombé, se submerge lamentablement dans le sommeil
de l'inconscience.
Dans
les temps antiques, à cette époque où
des fleuves d'eau pure de la vie jaillissaient lait et miel,
nombre de Maîtres vécurent sur la surface de
la Terre. Avec le fatal évènement du Kali
Yuga, l'âge noir dans lequel nous vivons malheureusement,
de nombreux Bodhisattvas tombèrent, et la lyre d'Orphée
tomba en morceaux sur le pavé du temple.
"La
grande Divinité est tombée à la renverse.
Elle repose sur un côté, le visage contre terre
; néanmoins, les hiérarchies célestes
la relèvent".